ECG : sujet âgé

Le vieillissement modifie progressivement tous les composants structurels du cœur [1] . Le nombre des myocytes cardiaques décline, et du tissu adipeux, élastique et du collagène en excès s’installent dans le tissu interstitiel et le système de conduction des influx. Avec l’âge, il y a ainsi une perte progressive de cellules pacemaker (cellules P) à l’intérieur du nœud sinusal, de sorte qu’à l’âge de 75 ans, moins de 10% de cellules pacemaker restent fonctionnels (à l’origine de dysfonctionnement sinusal). En outre, l’accumulation de tissu adipeux autour du nœud sinusal l’isole progressivement de la musculature atriale (à l’origine d’un bloc sino-atrial).

Les afférences du système nerveux autonome sont plus rares et la balance sympathique/parasympathique penche davantage vers un tonus sympathique accru et une perte de la variabilité respiratoire. Des calcifications apparaissent dans l’ensemble du squelette cardiaque, et en particulier au niveau de l’aorte, l’anneau mitral et le septum atrio-ventriculaire.

En raison de leur proximité avec les structures calcifiées, le nœud atrio-ventriculaire, le faisceau de His-Purkinje, et les branches droite et gauche sont fréquemment affectées (à l’origine de blocs atrio- et intraventriculaire). Enfin, le processus de vieillissement affecte les canaux ioniques et les systèmes enzymatiques membranaires, ce qui favorise une légère prolongation de la durée des potentiels d’action (qui se mesure au niveau ventriculaire par l’intervalle Q-T) et une instabilité des potentiels de repos (à l’origine de dépolarisations spontanées et d’extrasystoles) [2].

Les effets du vieillissement sur les tissus cardiaques modifient quasi systématiquement l’électrocardiogramme (ECG) des sujets âgés sans antécédents cardiaques. Ainsi, entre 70 et 79 ans, des sujets américains sans pathologie cardiovasculaire connue avaient des anomalies ECG mineurs ou majeur (par comparaison avec la norme du Minnesota code) dans respectivement 13 et 23% des cas [2] . De plus, les centenaires n’ont un ECG normal que dans moins de 20% [1], voire 5% des cas [2].

Les modifications de l’ECG à l’étage auriculaire sont fréquentes. L’onde P sinusale s’aplatît et devient brève en vieillissant (en rapport avec la raréfaction des cellules atriales). Elle s’allonge parfois et devient bifide en cas de fibrose intra-atriale. Son amplitude se rapproche de la valeur inférieure normale (0,1 mV soit 1 mm en calibrage habituel) et sa durée de la valeur supérieure de la normale (110 ms).

La fréquence cardiaque est légèrement supérieure que chez les sujets jeunes et elle augmente encore chez les centenaires. Un bloc AV du premier degré est d’autant plus fréquent que l’âge avance. Cette fréquence est > 20% chez les centenaires [1, 2]. Ce bloc atrioventriculaire (BAV) ne doit pas être banalisé car il s’accompagne d’un risque accru de BAV complet ou de fibrillation atriale [3].

La prévalence des extrasystoles atriales augmente avec l’âge, en particulier après 80 ans. Des salves brèves de tachycardie supraventriculaire se produisent jusqu’à 50% des sujets âgés. La fibrillation auriculaire (prévalence 10% à 80 ans, 18% après 85 ans) et le syndrome tachycardie-bradycardie sont prédominants [1]. En outre, la variabilité de la fréquence cardiaque lors de la respiration diminue avec l’âge, reflétant les changements dans la régulation du système autonome [4]. Cette perte de la variabilité expose à un risque accru d’arythmie auriculaire.

A l’étage ventriculaire à partir de 70 ans, on observe davantage de microvoltage des QRS (perte de la conductance du cœur et de la paroi thoracique), d’hypervoltage en rapport avec une hypertrophie ventriculaire gauche [1,6], et d’ondes Q de taille intermédiaire ou large [5,6]. Ces ondes Q, un sous-décalage du segment ST et ondes T négatives sont associées à une augmentation de mortalité [4]. La prévalence des QRS fragmentés (un marqueur de mauvais pronostic) n’a pas été étudiée. Les axes du cœur dans les plans frontal et précordial sont déviés vers la gauche (dans le plan frontal 0 à -30°, dans le plan précordial transition vers V4-V5) dans plus de 20% des cas. La prévalence d’un bloc complet de branche droit (BBD) ou d’un bloc fasciculaire antérieur gauche (BFAG) augmente chez les sujets âgés. La prévalence d’un BBD est voisine de 6% entre 70 et 80 ans mais elle atteint 14% après 80 ans. Chez les centenaires, la prévalence d’un BFAG atteint (40%), celle du BBD varie entre 5 à 17% tandis que celle du BBG semble plus faible [1].

La repolarisation est fréquemment altérée avec, dans plus de 20% des cas, une légère inversion (0,5 mm) des ondes T [1,5] et plus rarement un discret sous décalage descendant de ST dans les dérivations latérales gauches, plus marquées en cas de poussée tensionnelle et de demande métabolique accrue (tachycardie, anémie…). La positivité de l’onde T en dérivation VR est un excellent marqueur d’un risque cardiovasculaire accru (cf. Dérivation VR).

 

Vidéo YouTube P. Taboulet : Troubles du rythme – Pièges chez le sujet âgé

 

Figure 1.  

1. Rythme sinusal, BAV 1er degré, probable écho auriculaire puis bloc sino-atrial du second degré : risque fort de maladie de l’oreillette (bloc sino-atrial et fibrillation atriale)

2. Bradycardie sinusale à 30/min, avec rythme jonctionnel d’échappement dissocié du rythme sinusal : dysfonction sinusale sévère

3. Bloc sino-atrial du troisième degré intermittent avec rythme jonctionnel d’échappement : dysfonction sinusale sévère

4. Bloc inter-atrial du troisième degré que l’on reconnaît par une onde P diphasique +/- en dérivations inférieures. La polarité négative dominante est due à l’activation rétrograde de l’oreillette gauche : risque fort de maladie de l’oreillette (bloc sino-auriculaire et fibrillation atriale)

5. Bradycardie sinusale avec onde P sinusale très aplatie et de fréquence variable (intervalles PP non proportionnels) : dysfonction sinusale sévère

 

Références

[1] Taboulet P. ECG du vieux : anormal ou interprétable ? Mythes et réalités sur le patient âgé

[2] Auer R, et al; Health ABC Study. Association of major and minor ECG abnormalities with coronary heart disease events. JAMA. 2012;307(14):1497-505].