Il n’y a pas un ECG normal, mais des ECG normaux.
L’activité électrique du cœur dépend des particularités de l’automatisme et de conduction intracardiaque propres à chaque individu, mais aussi de plusieurs facteurs physiologiques : l’âge et le sexe, l’origine géographique, la morphologie, l’entrainement physique, la respiration, le système neurovégétatif, une prise alimentaire, le sommeil, l’anxiété… Ainsi, l’ECG d’un individu normal au repos est unique, mais il change très légèrement du matin au soir, d’année en année, et beaucoup de la naissance à la sénescence. Enfin, l’enregistrement varie légèrement en fonction de la position plus ou moins bonne des électrodes sur le thorax.
Il y a des règles établies par les Société savantes américaines de Cardiologie qui permettent de conclure grossièrement qu’un ECG est strictement normal et sur lesquelles s’appuyer (AHA Circulation 2009 [1]). Issues de ces règles, de nombreuses classifications ont été proposées pour identifier un ECG stritement normal avec des normes numériques précises pour les formes/durées/amplitudes de P-QRS-ST-T-U (ex. Le minnesota code en détail [2]). Ces normes numériques s’intéressent aux distances qui séparent un certain nombre de points clés sur un tracé ECG. Les calculs sont automatisés et se heurtent au problème de variabilité/instabilité/complexité du tracé et nombreuses variantes en fonction de l’état physiologique des patients (âge, sexe, poids, éthnie…). Elles négligent des anomalies minimes, mais pourtant significatives et ne savent pas bien reconnaitre certains « patterns » (ensemble d’anomalies caractéristiques) comme par exemple un infarctus subtil, un Brugada mineur, une onde epsilon… Elles peuvent inquiéter inutilement le lecteur, en cas d’écart à la norme pourtant acceptable dans les conditions d’examen. En résumé, il faut controler le rendu des algorithmes tout comme il faudra controler le travail de l’IA, très nettement supérieure aux algorithmes, mais encore peu diffusée en 2025.
Critères d’un ECG normal
Il faut une technique de lecture rigoureuse qui débute par l’analyse de la qualité technique de l’enregistrement (cf. ECG. Lecture et synthèse). L’analyse continue ensuite par l’observation de l‘onde P (contraction des 2 oreillettes), puis la mesure de l’intervalle P-R (conduction entre les oreillettes et les ventricules), l’analyse des complexes QRS (contraction des ventricules), l’analyse des segments ST et des ondes T (repolarisation des ventricules) et enfin mesure de la durée de l’intervalle QT (systole électrique du cœur).
Je propose 12 critères simplifiés pour reconnaitre un ECG normal (P. Taboulet. L’ECG de A à Z, 2e ed 2025). L’ECG doit afficher un rythme sinusal avec une fréquence comprise entre 60 et 100/min, sans aucune déflexion, aucun segment, ni aucun intervalle anormal [1]. Si une règle n’est pas respectée, il faudra vérifier que cet écart n’est pas dû à une erreur technique, à une variation liée à l’âge, au sexe ou à un autre facteur physiologique, avant de conclure que l’ECG est anormal, puis préciser son mécanisme. Des petits écarts sont tout à fait acceptables selon les circonstances, en particulier chez les personnes asymptomatiques.
Voici deux ECG qui respectent les 12 règles de base et peuvent être considérés comme normaux, malgré de petites différences entre eux (à vous de les trouver).
Les variantes de la normale
Les variantes s’observent en particulier chez l’enfant, les hommes, les sportifs, les personnes originaires d’Afrique et les sujets âgés (cf. Variantes ECG de la normale).
- Les ECG du nouveau-né, de l’enfant et de l’adulte jeune présentent des différences notables avec ceux de l’adulte. Il peut s’agir d’une tachycardie en bas âge, d’une arythmie sinusale prononcée, de QRS plus fins, d’un ÂQRS droit, d’une onde R ample > 6 mm en V1, ou encore d’anomalies juvéniles de repolarisation au niveau des dérivations V1-V3(V4) (cf. ECG pédiatrique).
- Les ECG des hommes et femmes présentent entre eux de légères différences quant aux amplitudes et largeurs des complexes QRS, aux décalages du segment ST, aux formes et amplitudes de l’onde T (plus amples et plus ascendantes chez l’homme) et à la durée de l’intervalle QT (plus long de 10 ms chez la femme). Les hommes jeunes ou d’origine afro-caribéenne peuvent présenter un hypervoltage des QRS et une repolarisation ventriculaire très différente de celle de l’homme ou de la femme caucasienne (cf. Variantes de repolarisation). Ces différences s’amenuisent après 40 ans.
- Le sportif et surtout le sportif de haut niveau (athlète), grâce à l’entrainement physique intensif, présente des variations de l’électrocardiogramme en rapport avec un ventricule gauche plus développé (QRS hypervoltés) et un tonus vagal prononcé (cf. Hypertonie vagale) responsables parfois de bradycardie sinusale avec souvent arythmie respiratoire sinusale, un rythme atrial ou jonctionnel ectopique, un bloc AV 1 voir un bloc AV 2 Mobitz 1 (cf. ECG et sport).
- Les personnes âgées présentent aussi de légères modifications (cf. ECG du sujet âgé).
Enfin, il faut signaler que certaines anomalies mineures et isolées, comme une bradycardie sinusale autour à 50/min (voire moins), une hypertrophie atriale G ou D, un axe du cœur gauche ou légèrement droit, un bloc de branche droit ≤ 140 ms, une extrasystole occasionnelle sont considérées comme des variantes mineures chez le sportif athlète (cf. ECG et sport) et d’autres aussi comme un microvoltage, extrasystoles rares, un bloc AV 1 ou 2 Mobitz 1, un wandering pacemaker sont considérées comme des variantes mineures dans la population générales [2][3].
Anomalies mineures et anomalies majeures
La découverte d’une anomalie sur un ECG n’a pas la même importance en fonction de son caratère mineur ou majeur. Le Minnesota code propose une classification précise à ce sujet [2][3]). Il a été démontré depuis que l’existence d’une ou plusieurs anomalies mineures et surtout d’une anomalie majeure était asscociée à une incidence accrue de décès global et d’hospitalisation liée aux maladies cardiovasculaires (3,5 millions d’adultes actifs au Japon) [4]. Les résultats suggèrent que le dépistage systématique par ECG peut aider à identifier les sujets à haut risque de développer des événements cardiovasculaires.
ECG normal = cœur normal ?
Contrairement à une croyance répandue, un ECG normal n’est pas nécessairement synonyme d’un cœur en parfaite santé. En effet, une maladie coronaire, du muscle, de l’aorte ou d’une valve cardiaque ou une anomalie favorisant un trouble du rythme peuvent passer complètement inaperçues lors de l’ECG, parce que les anomalies sont subtiles ou absentes lors de l’enregistrement. Dire qu’un ECG est normal au vu des 12 critères énoncés plus haut n’exclut donc pas complètement le risque d’une maladie structurelle ou électrique du cœur. De petites anomalies sont parfois indétectables à l’oeil et il faudra attendre un large accès à l’intelligence artificielle pour aider les médecins (ou tout le monde) à détecter une maladie ou un risque de maladie (fibrillation atriale, dysfonction ventriculaire, mort subite…).
Homme 55 ans. L’ECG est normal, mais des QRS fragmentés en DIII et VL cachent une cardiomyopathie dilatée sévère.
Lire aussi : ECG. Lecture et synthèse
Vidéos YouTube (P. Taboulet)
- Vidéo cours 1 (60 min). Comment choisir un appareil et enregistrer un ECG ?
- Vidéo cours 2 (57 min). Technique de lecture ECG – 12 règles
- Vidéo cours (30 min). Lecture ECG. Trucs et astuces pour bien débuter... Quelques rappels physiopathologiques et techniques, puis la présentation des 12 règles de base pour reconnaitre un ECG normal (et quelques variantes) avec des conseils sur la mesure du QT.
Formations ECG (DPC) via Santé Académie : Formations ECG et extrait : Les 5 ECG à connaître absolument en médecine générale
Biblio des valeurs normales des paramètres ECG en fonction du sexe, âge, ethnies … variantes ECG de la normale
Les 12 critères d’un ECG normal chez l’adulte (adapté d’après [1][2])
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- Les ondes P sinusales sont positives en DI-DII (en dôme)
- Une seule onde P sinusale précède chaque QRS (DII ≤ 2,5 mm et < 0,12 s) et aucune n’est bloquée
- Les ondes P sinusales sont régulières avec une fréquence entre 60-100/min (adulte)
- L’intervalle PR (ou PQ) a une durée constante (0,12 à 0,20 s)
- Les complexes QRS ont un axe frontal entre -30 à 90° (les QRS DI-DII ont une polarité ≥ 0)
- Les complexes QRS sont tous fins (≤ 0,11 s) et peu amples (ex. R en DI < 15 mm, VL < 11 mm, V1 < 6 mm, V5-V6 < 25 mm)
- Les complexes QRS ont un aspect rS en V1 et qR en V6 (l’onde R croit harmonieusement de V1 à V4(V5) puis décroit et l’onde S croît de V1 à V2 puis décroît)
- Les ondes q sont présentes et fines en V6-V5(V4) et certaines dérivations des membres (≤ 20 ms), max. ≤ 30 ms en DIII et QS possible en V1
- Le segment ST est isoélectrique (< 1 mm) à la fin du segment PQ (mais un point J surélevé entre 1 et 2,5 mm est possible en V2-V3, selon âge et sexe)
- L’onde T est positive (sauf en VR et V1 et parfois en DIII-VL) et asymétrique
- L’onde T est proportionnelle aux QRS (< 2/3 du QRS et minimum > 10% de R)
- L’intervalle QT corrigé est normal (≤ 0,45 s homme et ≤ 0,46 s femme)
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